En 2019, Kaïs Saïed, alors candidat à l’élection présidentielle, répondait à une journaliste dans une interview accordée au journal Acharaa Al Magharibi, un média aujourd’hui disparu, victime de la désertification progressive de la scène médiatique tunisienne depuis 2021. Le futur président de la République tunisienne y justifiait alors son opposition au projet de loi sur l’égalité dans l’héritage (un homme hérite le double d’une femme en Tunisie), projet qu’il a enterré en 2020.
« Vous maintenez votre position contre le projet de loi sur l’égalité dans l’héritage ?– Oui, et je leur répondrai avec des arguments scientifiques.– La science a-t-elle un rapport avec l’égalité successorale ?– Oui, il y a une différence entre l’égalité et la justice. »
Relue à la lumière du 24 octobre, cette interview résonne comme un avertissement que nous n’avons pas voulu entendre. Ces propos, d’une clarté redoutable, ne laissaient guère de doute : Kaïs Saïed n’a jamais été acquis ni aux droits des femmes, ni aux libertés, ni aux droits humains. Son mépris pour les féministes était explicite, il promettait d’y « répondre en temps voulu ». Le temps, justement, est venu : le 24 octobre, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a reçu une décision de suspension de ses activités pour trente jours.
Cette décision est motivée par un prétendu non-respect du décret-loi n° 88 de 2011, qui encadre les associations. Ironie de l’histoire, parmi les articles que le pouvoir accuse l’ATFD d’avoir enfreints figure l’article 3, stipulant que les associations doivent respecter « les principes de l’Etat de droit, de la démocratie, de la pluralité, de la transparence, de l’égalité et des droits de l’homme… ».
Difficile de ne pas y voir une caricature. C’est le même président qui a démantelé les institutions démocratiques, dissous le Parlement et tenu, en 2023, un discours ouvertement raciste sur les migrants et les migrantes subsahariens qui ose reprocher à une organisation féministe de manquer de respect aux droits humains. En réalité, ce que Kaïs Saïed reproche à l’ATFD, c’est précisément ce qu’elle incarne : la défense des libertés, de l’égalité et de la dignité humaine… Tout ce que son régime combat.