L’Europe est-elle prête à se donner les moyens de ses ambitions dans le secteur spatial ? Alors que l’espace est devenu un théâtre d’affrontement militaire, technologique, numérique et économique entre grandes puissances, un double déclassement est à l’œuvre. Sur un Vieux Continent en perte de vitesse dans ce domaine, la France est en passe de perdre son rang de leader. Le sommet de Brême, qui a réuni les 26 et 27 novembre les ministres chargés de l’espace des 23 Etats membres de l’Agence spatiale européenne (ESA), est censé maintenir l’espoir d’un sursaut en sanctuarisant un budget en hausse. S’il acte la montée en puissance de l’Allemagne et de l’Italie au détriment de la France, il peine à dissimuler les faiblesses européennes : la désunion et l’absence d’une vision claire.
Le budget de l’ESA pour les trois prochaines années s’apprête à être augmenté dans des proportions inédites, à 22 milliards d’euros, soit une hausse de 30 %. Même si cet essor illustre la prise de conscience de l’importance du secteur dans les enjeux stratégiques auxquels fait face le Vieux Continent, il reste insuffisant pour pouvoir rivaliser avec les Etats-Unis et la Chine.
Au-delà de l’aspect financier, la réunion ministérielle de Brême est surtout marquée par l’émergence d’une nouvelle forme de concurrence, nourrie notamment par l’Allemagne et l’Italie, qui sont prêts à augmenter leur contribution au financement de l’ESA.
La France, empêtrée dans ses contraintes budgétaires, a de plus en plus de mal à suivre et risque de perdre de l’influence dans l’attribution des programmes européens. Ceux-ci continuent en effet à fonctionner selon la règle du « retour géographique ». C’est-à-dire que chaque pays contributeur au budget de l’ESA récupère sous forme de contrats attribués à son industrie un montant équivalent à sa part de financement. Reléguée désormais en troisième position, derrière l’Allemagne et l’Italie, la France n’est plus la puissance spatiale dominante qu’elle a été et devra en tirer les leçons en coopérant davantage avec ces pays.
Au-delà de cette recomposition, le retard accumulé par l’Europe conduit à s’interroger sur la pertinence de s’en tenir uniquement à la mutualisation et aux grands programmes européens. Le traumatisme provoqué par le fait que l’Europe se soit retrouvée sans fusée autonome pendant plusieurs mois avant le lancement d’Ariane-6 en juillet 2024 a incité certains pays à développer leurs propres projets, y compris en recourant à des fonds privés.
Cette émulation peut contribuer à faire apparaître un futur SpaceX européen, encourager davantage la prise de risque et l’innovation de rupture. Néanmoins, la multiplication des projets peut aussi déboucher sur un chacun-pour-soi contre-productif au moment où l’Europe doit au contraire rassembler ses forces pour avoir des chances de rester dans la course spatiale.
Encore faudrait-il disposer d’un cap clair et partagé par tous. Or, ce qui manque aujourd’hui le plus à l’Europe, c’est un projet politique et stratégique sur le secteur spatial. Le Vieux Continent donne le sentiment de se positionner uniquement en réaction à l’avance américaine ou chinoise, chacun des pays européens défendant son industrie et ses emplois sans vision plus globale. Il est urgent de se fixer des priorités pour répondre à nos enjeux de souveraineté et de défense. Tant que la stratégie restera floue et fluctuante selon les intérêts des uns ou des autres, l’Europe sera vouée à jouer les seconds rôles.