Sébastien Touzé, juriste : « Rien ne permet d’affirmer que la justice européenne serait en train de transformer la polygamie en “droit de l’homme” »

Affirmer, comme le fait le directeur du Centre européen pour le droit et la justice Grégor Puppinck, dans une tribune parue le 3 novembre dans Le Journal du dimanche, que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) serait sur le point d’« autoriser la polygamie » n’est pas une simple erreur d’analyse : c’est un procédé. Il ne vise pas seulement la polygamie, mais la cour elle-même, et transforme un contentieux précis en symbole fabriqué d’une Europe qui renoncerait à ses repères. A ce stade, il ne s’agit plus d’interpréter le droit, mais de façonner un récit politique.

Que juge réellement la cour ? L’affaire Al-Anesi contre les Pays-Bas, à l’origine de la tribune de Grégor Puppinck, ne demande pas à la CEDH de reconnaître la polygamie comme modèle familial légitime. Le requérant est un avocat yéménite, polygame, à qui les Pays-Bas ont accordé l’asile. Il vit sur place avec sa première épouse et leurs huit enfants. Les autorités ont en revanche refusé l’entrée de cinq autres enfants, nés de ses deuxième et troisième épouses, restées en Turquie. La question posée à Strasbourg est limpide : un Etat peut-il, au nom de son refus de la polygamie, décider que ces enfants ne pourront jamais vivre auprès de leur père réfugié, sans même examiner concrètement leur situation ?

Présenter cela comme une « légalisation de la polygamie », c’est pratiquer un amalgame volontaire et orienté politiquement. Depuis des décennies, le droit européen distingue clairement deux choses. D’un côté, la CEDH reconnaît qu’il existe une vie familiale entre un père et ses enfants, même si ceux-ci sont nés dans un cadre polygamique. Ils ont donc droit, comme tous les enfants, à une protection minimale. De l’autre, les Etats restent libres d’interdire la polygamie, de ne pas reconnaître les mariages polygamiques et de refuser le regroupement des épouses supplémentaires. Protéger les enfants ne revient pas à légitimer la polygamie ; c’est refuser qu’ils en payent le prix.

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