Maladies tropicales, la dengue et le chikungunya se répandent en France métropolitaine. D’après le dernier bilan de Santé Publique France, au 26 août, 37 épisodes de transmission autochtones par le moustique-tigre ont été identifiés. Trente épisodes de chikungunya qui ont concerné 228 personnes et sept de dengue pour 15 personnes. Ces plus de 240 cas autochtones s’ajoutent aux plus de 1800 cas importés (946 cas de chikungunya, 826 de dengue et 7 de zika), donc dus à une contamination survenue hors du territoire métropolitain. En outre, 15 cas d’infection autochtones par le virus West Nile, lui aussi transmis par le moustique-tigre ont été recensés dont certains en Île de France, et non seulement dans le sud du pays.
Depuis trois ans, l’accélération du nombre de cas autochtones est fulgurante, même si les chiffres sont encore faibles. Mais le signal est clair : l’installation dans la plupart des départements du moustique-tigre, vecteur de ces maladies, signifie que la politique de santé publique va devoir déployer des moyens pérennes et importants si l’on veut éviter des épidémies aux conséquences majeures, avec des décès et des invalidités. Le moustique-tigre (Aedes albopictus) est apparu en 2004 dans les Alpes-Maritime (en provenance d’Italie). Il est désormais installé dans 84 départements métropolitains.
Or, le 20 août, une étude publiée dans la revue Global change biology (1) démontre que cette installation favorisée par le réchauffement climatique ne peut que s’élargir à l’avenir, au fur et à mesure que les conditions climatiques seront de plus en plus favorables au moustique-tigre. Si ce dernier voyage par ses propres moyens – il se disperse souvent comme passager clandestin involontaire de moyens de transports (camion, voitures, trains) – son succès reproductif et sa multiplication sur place sont en grande partie déterminés par les conditions climatiques. Il s’adapte particulièrement bien aux zones urbaines, se reproduit en déposant ses œufs dans les eaux stagnantes, même de très faibles volumes, et se nourrit préférentiellement de sang humain.
Les scientifiques, une équipe d’entomologistes, de climatologues et d’épidémiologistes dirigée par Andrea Ridici du laboratoire Mivegec (Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle, IRD, CNRS, Université de Montpellier), ont étudié et modélisé cette expansion pour en prévoir l’évolution. Selon leurs résultats, le moustique-tigre a probablement déjà colonisé la majeure partie des zones qui lui sont devenues climatiquement favorables. Mais comme le réchauffement va se poursuivre, son aire de répartition devrait s’étendre plus au nord de la France et de l’Europe : des villes comme Londres, Lille, Francfort ou Vienne seront inéluctablement touchées à leur tour. Une extension de son aire de répartition, mais surtout également de sa densité de présence : le réchauffement climatique offre en effet au moustique-tigre un allongement de sa saison de reproduction, par une activité plus précoce et plus tardive, et donc un nombre de générations plus important à chaque période estivale. La densité de présence va donc exploser, exposant les humains à des fréquences de piqûres élevées. Et donc à une probabilité de transmission des maladies - dengue, chikungunya et zika - également élevée.
Face à cette expansion, soulignent les scientifiques, les stratégies de lutte reposent sur l’élimination des gîtes de ponte, ainsi que sur la mise en place de pièges à moustiques, l’utilisation de répulsifs et de moustiquaires, ou encore la mise en œuvre de techniques innovantes comme la libération de moustiques mâles stériles. L’étude fournit une cartographie des zones à surveiller en priorité, afin d’identifier les régions à risque et d’optimiser les actions de santé publique. Il est d’ores et déjà impossible d’envisager une éradication du moustique-tigre, seule une action volontariste et pérenne pour en limiter les populations et des opérations « coups de poing » sur les clusters épidémiques est susceptible d’en circonscrire les dégâts sanitaires à l’avenir. Cette stratégie suppose des mesures d’actions publiques, mais également des changements de comportements des populations des zones nouvellement atteintes pour se protéger des moustiques tigres (lesquels sont vicieux : un vol très discret, une activité diurne et non seulement nocturne) et faire la chasse aux eaux stagnantes (pots de fleurs...) afin de limiter les zones de pontes.