Sorj Chalandon : « La rue a fait de moi une sentinelle »

Ses yeux gris rient et pleurent parfois dans le même instant, alors qu’il est assis à la terrasse de ce café où il a ses habitudes, place Victor-Hugo, à Paris (16e). Journaliste depuis une cinquantaine d’années, à Libération d’abord et aujourd’hui au Canard enchaîné, il a raconté dans ses livres son père terrible, le bégaiement de son enfance, la trahison d’un ami militant irlandais de l’Armée républicaine irlandaise. Il n’avait pas encore révélé cette année passée dans la rue, au début des années 1970, avant de rencontrer un groupe de militants maoïstes. Le Livre de Kells (Grasset, 384 pages, 23 euros), qu’il vient de publier, raconte cette bataille menée à 20 ans.

… Si mon père avait été gentil et aimant. S’il avait été un genre de bon radical-socialiste lyonnais amoureux d’Edouard Herriot [1872-1957], s’il avait été aimable, et si j’avais eu une maman heureuse, je ne serais pas arrivé là du tout ! Je n’aurais écrit aucun roman, car, comme tous les romans, les miens viennent d’une blessure liée à mon enfance et à mon éducation. Je n’aurais pas non plus été journaliste, probablement. Je ne serais donc allé ni au Liban ni en Irlande, qui ont tant compté ensuite dans mes livres et mes articles. Et puis, je n’aurais pas eu de cancer…

C’est d’abord un menteur. Mon père s’inventait un métier chaque jour. Pas chaudronnier, non, il fallait qu’il soit un jour chanteur, le lendemain footballeur, pasteur presbytérien, professeur de judo, conseiller personnel du général de Gaulle, et même agent secret à la CIA ! Un véritable mythomane qui avait changé cinq fois d’uniforme pendant les quatre années de guerre, s’était engagé à 17 ans dans l’armée française, puis dans l’armée d’armistice du maréchal Pétain, puis dans la Légion tricolore, une milice d’extrême droite, puis dans l’armée allemande et, enfin, dans la Résistance.

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