Dans le grand mercato des designers de mode, c’est chez Fendi que l’incertitude aura duré le plus longtemps. Après le départ du directeur artistique des collections féminines, Kim Jones, le 11 octobre 2024, on s’attendait à ce qu’un remplaçant officiel soit désigné. Mais c’est Silvia Venturini Fendi, chargée de l’homme et des accessoires depuis 1994, qui a hérité du poste par intérim. Le 29 septembre, elle a été reléguée au statut de « présidente d’honneur ». Et le 14 octobre, le groupe LVMH, propriétaire de la griffe, a enfin annoncé la nomination de Maria Grazia Chiuri en tant que directrice artistique de la maison romaine.
Le choix de l’Italienne de 61 ans n’est pas une surprise, son nom ayant été évoqué à maintes reprises. Elle possède l’avantage de bien connaître Fendi, où elle a commencé sa carrière en 1989, après son diplôme à l’Institut européen de design, à Rome. Pendant dix ans, elle a travaillé au département des accessoires, en particulier sur les sacs, contribuant à l’élaboration du it-bag Baguette.
De son côté, LVMH connaît bien Maria Grazia Chiuri pour lui avoir confié la direction artistique des lignes féminines de Dior pendant neuf ans. Elle a quitté ce poste le 29 mai, après un ultime défilé dans sa ville de cœur, Rome, pour laisser la place à Jonathan Anderson, qui a été nommé quatre jours plus tard. Le caractère abrupt de cette passation des pouvoirs laissait supposer que Maria Grazia Chiuri n’allait pas forcément retravailler au sein du groupe.
Le temps a-t-il fait son œuvre de réconciliation ? Delphine Arnault a-t-elle convaincu la designer ? La PDG de Dior, en poste depuis 2023, conseille aussi LVMH sur le choix des directeurs ou directrices artistiques du groupe et n’a jamais tari d’éloges sur Maria Grazia Chiuri, même quand elle se séparait d’elle au printemps.
Fondée dans la capitale italienne par le couple Adele et Edoardo Fendi, en 1925, la marque a été reprise par leurs filles, puis par leurs petites-filles, dont Silvia Venturini Fendi fait partie. La maison familiale a été rachetée par LVMH en 1999, qui a placé en elle des ambitions internationales. Dans le portefeuille du groupe, Fendi est une marque de mode importante, mais plus petite que Dior, donc moins scrutée par le PDG, Bernard Arnault.
Pendant longtemps, la question de la direction artistique ne s’est pas posée : côté masculin, il y avait Silvia Venturini Fendi ; côté féminin, Karl Lagerfeld, recruté en 1965 par les filles des fondateurs et qui est resté fidèle au poste jusqu’à sa mort, en 2019. L’Allemand avait imaginé le logo en forme de double F et fait honneur à la réputation de fourreur de la maison.
Bien que l’utilisation de la fourrure ait été de plus en plus critiquée dans les années 2010, Fendi fait partie des rares marques à n’avoir jamais arrêté d’en utiliser ? Karl Lagerfeld avait même proposé, entre 2015 et 2017, des défilés « haute fourrure », où la totalité des looks étaient conçus en peaux d’animaux élevés pour leur tonsure. Silvia Venturini Fendi y avait aussi recours, même si, dernièrement, elle utilisait également des peaux de mouton, donc issues du circuit de l’agroalimentaire. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri n’avait pas non plus renoncé à la fourrure.
On imagine assez bien comment le style de la directrice artistique peut s’accorder avec celui de Fendi. Fendi, c’est une forme d’élégance italienne, un vestiaire bourgeois discret et luxueux, pas tapageur. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri respectait les codes de la maison en dessinant une garde-robe féminine, plutôt classique, mettant en valeur celle qui la porte. A cette base, elle avait ajouté deux éléments personnels : le confort des vêtements et un message féministe.
Le choix de Maria Grazia Chiuri chez Fendi paraît très rationnel et l’on peut se féliciter que LVMH fasse preuve de fidélité envers ses designers. Une interrogation demeure cependant quant à la capacité de l’Italienne à proposer de nouvelles idées, alors que, chez Dior, elle a travaillé sans relâche, élaborant dix collections chaque année. On peut légitimement se demander si, après un tel effort, la designer en a encore sous le pied. On pourra s’en faire une idée à la prochaine fashion week féminine de Milan, en février 2026, où Maria Grazia Chiuri présentera sa première collection.
« Je suis reconnaissante envers M. [Bernard] Arnault de me confier cette mission de contribuer à écrire un nouveau chapitre de l’histoire de cette entreprise extraordinaire fondée par des femmes », a commenté Maria Grazia Chiuri, dans le communiqué de presse annonçant sa nomination. « Maria Grazia Chiuri est l’un des plus grands talents créatifs dans la mode aujourd’hui et je suis ravi qu’elle ait choisi de retourner chez Fendi pour continuer à exprimer sa créativité au sein du groupe LVMH, après avoir partagé sa vision engagée de la mode », a fait savoir de son côté le PDG, qui ne prend pas toujours la peine d’ajouter un commentaire élogieux sur ses nouvelles recrues. Un signe de considération, peut-être aussi de réconciliation.