Maître-éboueur et légiste insomniaque de l’Amérique contemporaine, James Ellroy n’a de cesse, roman après roman – et il en a écrit dix-sept depuis 1984 –, de nous servir une vision minutieusement catastrophiste et totalement nihiliste de l’histoire avec un grand « M », comme « matraque » et « manigance ». Une histoire qui n’a rien d’une estrade grandiose où parade et discourt le grand homme (il n’y a pas de grands hommes) ni d’une large avenue qu’emplirait la houle des masses. Une histoire qui se fricote en bande et en coulisses, dans les caves, les arrière-salles et les contre-allées. C’est là qu’on touche au nerf, que se connectent les vrais fils, se bricolent les grands ébranlements.
L’histoire ellroyenne est la chose en propre des hommes de main et de poings, paparazzis ou casseurs de bras, poseurs de micros et faussaires. L’histoire est l’histoire de la lutte des clans, pas des classes. Dont acte avec ses Enchanteurs, troisième volet, après Perfidia et La Tempête qui vient, d’un nouveau cycle dit Quintette de Los Angeles. Là, une proie, Marilyn Monroe, un chasseur, Freddie Otash, enquêteur clandestin, privé de l’ombre, et des commanditaires, les Kennedy en voie de réélection, la police et son double, la Mafia. But de la manœuvre : tenir à l’œil et à l’oreille une star dont on redoute les confessions et les fréquentations. Marilyn est retrouvée morte le 4 août 1962, issue sinistre d’une vie en impasse, miraculeuse et déchue. Se déroulant depuis avril, jour après jour, dans un bruit de flashs et avec une cadence de téléscripteur, le roman d’Ellroy se braque avant tout sur la manie obsessionnelle d’Otash de tout voir, tout entendre, tout savoir, de faire corps avec un gibier dont il sonorise le logis, une demeure dont il renifle la moquette, sonde les murs et retourne les tiroirs. Passant du sérail hollywoodien (qu’on ferait mieux d’appeler Bloodywood) aux bureaux de la police de Los Angeles, des villas de Malibu aux motels de la dernière chance, Otash, en bon marionnettiste dopé et sarcastique, tire les fils d’acier d’un castelet sinistre où gigotent des figurines pathétiques.