Dix ans après, la tragédie du 13-Novembre fait l’objet d’un flot continu de messages sur les réseaux sociaux. Phénomène peu identifié, le flux sans cesse renouvelé de ces messages n’a jamais été analysé. Il met en lumière des lignes de faille entourant la mobilisation de la mémoire des attentats. Il en révèle aussi la tentative permanente de détournement par les franges identitaires au service d’une mise en récit de l’actualité qui validerait leurs orientations idéologiques. S’ajoute à cela le rôle nouveau que joue l’intelligence artificielle (IA) dans la transformation de l’opinion et la mobilisation sur les réseaux sociaux.
A l’aide de modèles d’IA que nous avons développés, nous avons analysé le nombre de mentions publiques, sur le réseau social X, du terme « Bataclan », entre le 12 novembre 2024 et le 23 octobre 2025, en prenant soin de ne pas inclure la période de commémorations des attentats. Résultat : 465 112 publications, près d’une mention par minute, plus de 122 000 auteurs uniques et pas moins de 52 thèmes distincts.
Premier constat, les contenus relatifs à l’activité culturelle de la salle représentent un peu plus de 18 000 messages, soit seulement 4 % du flux total. Deuxième constat, quasiment toutes les autres références au Bataclan sont teintées d’une forte charge émotionnelle. Les mentions neutres sont rares, et même lorsqu’elles semblent l’être, elles sont souvent connotées. Le terme est ainsi utilisé comme étalon de mesure de la gravité d’un événement dans l’imaginaire collectif français : « Ça va c’est pas le Bataclan non plus… » Troisième constat : le contenu lié à la tragédie est fortement politisé : environ 75 % des messages sont utilisés à des fins partisanes.
Les premières cibles sont les responsables politiques actuels et anciens, présidents et premiers ministres. Les cérémonies officielles sont particulièrement ciblées, transformant des actes mémoriels en autant de sujets de controverse. Les messages insistant sur l’absence de mention de l’islamisme dans les communications officielles sont récurrents, de même que l’oubli supposé des victimes. L’omniprésence de certains comptes sur ces sujets révèle une forme de « spécialisation » dans la génération de ces contenus, avec des auteurs ouvertement proches des mouvances identitaires, suggérant au minimum une stratégie coordonnée d’amplification de ces narratifs bien particuliers.