« Nous sommes contraints de choisir qui on sauve et qui on ne sauve pas », a déploré auprès de l’Agence France-Presse (AFP) le responsable du déploiement logistique pour l’ONG Handicap International. Jérôme Bertrand rentre de trois semaines sur le terrain pour évaluer les besoins logistiques pour l’acheminement de l’aide destinée aux civils pris au piège de la guerre.
Au Soudan, le conflit qui oppose depuis avril 2023 l’armée aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) a tué plusieurs dizaines de milliers de personnes et déplacé des millions d’autres, provoquant ce que l’ONU qualifie de « pire crise humanitaire au monde », aggravée au Darfour par un exode massif de réfugiés depuis la prise de la ville stratégique d’El-Fasher par les FSR, à la fin d’octobre.
« C’est un choix, un dilemme inhumain, que les acteurs humanitaires doivent faire et cela va complètement à l’encontre de nos valeurs », dit Jérôme Bertrand, ajoutant que ses équipes privilégient « les enfants, les femmes enceintes et les femmes allaitantes en espérant que les autres tiennent le coup ».
Sa mission est de faciliter les opérations d’urgence, pour répondre au mieux aux « besoins immenses ». Le tout sans aéroport fonctionnel, via des routes souvent impraticables en saison de pluie, avec des « obstacles administratifs » à la frontière tchadienne – actuellement le seul moyen d’accès au Darfour –, des coûts exorbitants et des financements internationaux insuffisants.
« C’est tout l’approvisionnement d’une zone grande comme la France avec onze millions d’habitants qui passe, en partie, à dos d’âne », explique-t-il en soulignant « l’état d’anarchie », « l’absence complète de structures étatiques », « beaucoup de banditisme », des tensions sécuritaires et sur les routes, « des extorsions, des vols, des agressions, des arrestations ».
A Tawila, ville refuge, qui accueille actuellement plus de 650 000 civils venus d’El-Fasher ou du camp de Zamzam, aux mains des FSR, M. Bertrand a vu « des personnes qui n’ont plus rien du tout » alors que « les acteurs humanitaires ne sont pas en capacité de couvrir tous ces besoins ».
La suspension d’une partie de l’aide américaine (Usaid) a fait perdre « 70 % » des ressources au Darfour et « seul un quart des besoins » sont désormais traités, selon lui. Il décrit aussi « 80 000 personnes en déshérence » sur les routes, violentées, extorquées, parfois rançonnées, et pour ceux qui parviennent à Tawila, « des signes de malnutrition, des blessures de torture » ou des impacts de « balle ».
La communauté internationale laisse des groupes armés « s’entretuer », estime-t-il. « A une autre époque (…) on aurait eu une résolution des Nations unies qui aurait envoyé une force d’interposition ».