De 1955 au début des années 1960, Henri Michaux (1899-1984) a produit une grande partie de son œuvre écrite et dessinée sous l’influence de la drogue. L’histoire est bien connue et a déjà fait l’objet de nombreuses études. La nouveauté du livre de Muriel Pic, Leçons de possession, est de lier étroitement poésie, médecine et pharmacologie en examinant tous les aspects des expérimentations conduites par Michaux, y compris celles qui en font un cobaye volontaire pour l’industrie du médicament. Elle se fonde sur des archives inédites ou encore peu exploitées : les « archives de la drogue » de Michaux lui-même (en partie étudiées par Raymond Bellour dans le tome III des Œuvres complètes, dans « La Pléiade », 2004, mais pas entièrement transcrites), celles des laboratoires pharmaceutiques Sandoz et de plusieurs médecins, conservées au Muséum national d’histoire naturelle de Paris ou à l’Institut d’histoire de la médecine de l’université de Berne.
La recherche sur les hallucinogènes, commencée au XIXe siècle par l’aliéniste Jacques-Joseph Moreau de Tours, connaît son plein développement à cette époque que l’on peut qualifier de véritable « révolution psychopathologique ». L’invention des psychotropes, destinés à atténuer les symptômes liés à la schizophrénie et à d’autres troubles psychiques, présente une solution bienvenue aux thérapies « de choc » (en particulier la lobotomie), dont on commence à mettre en cause l’efficacité. A Paris, des médecins et psychiatres, comme Jean Delay et Pierre Deniker, à Sainte-Anne, ou Julian de Ajuriaguerra, à l’hôpital Henri-Rousselle, expérimentent les produits sur eux-mêmes, méthode très répandue à cette époque où les cliniciens se présentent parfois comme de véritables héros épiques – figure décrite par Michel Foucault au début du cours au Collège de France Le Pouvoir psychiatrique (Gallimard/Seuil, 2003). Leur principal problème : ils ne savent pas comment parler de leurs sensations ni mettre en mots leur expérience. Ils ont besoin des écrivains pour transcrire les étapes de ces virées au-delà de la conscience et pour répondre au défi de l’écriture de l’auto-observation. Ils veulent tous des témoignages de Michaux.