Raphaël Graven, connu en ligne sous le nom de Jean Pormanove, ou JP, est mort lundi 18 août à Contes, au nord de Nice, alors qu’il participait à un livestream (vidéo en direct) sur Kick. Cela faisait plusieurs années qu’il y subissait brimades, violences et humiliations en direct. Alors qu’une enquête en « recherche des causes de la mort » a été ouverte par le parquet de Nice, le drame met en lumière cette plateforme méconnue du grand public et sa politique de modération particulièrement permissive.
Kick est une plateforme de vidéos en direct, dont le fonctionnement et l’apparence sont très proches de Twitch, la plateforme d’Amazon très utilisée par les amateurs de jeux vidéo. Lancée en 2022, il s’agit d’une société australienne, même si l’on ignore qui sont ses investisseurs au-delà de deux cofondateurs, Bijan Tehrani et Ed Craven.
Comme sur Twitch, moyennant quelques euros, les spectateurs peuvent s’« abonner » à des chaînes pour bénéficier de certains avantages. Au mois d’août, Kick revendiquait une audience de 817 000 personnes sur un mois, soit moins du tiers de ce qu’affiche Twitch sur la même période (2,1 millions), selon le site StreamCharts.
Kick se distingue d’abord des autres sites de streaming par son système de rémunération particulièrement attractif pour les créateurs de contenus. La plateforme ne prélève en effet que 5 % des sommes versées par les internautes pour s’abonner à des chaînes, là où cette ponction va de 30 % à 50 % sur Twitch par exemple.
Le deuxième « atout » de la plateforme, c’est sa politique de modération plus permissive. Elle autorise notamment certains jeux d’argent interdits sur Twitch, et permet à des scènes à connotation sexuelle, ou comportant des humiliations ou violences, comme celles subies par Jean Pormanove, d’être diffusées sans qu’il y ait automatiquement de sanction.
Tout n’y est pas accepté mais le site a largement cherché à tirer parti de son image plus « sulfureuse » pour attirer des influenceurs exclus des autres plateformes ou se spécialisant dans la provocation. Elle a notamment accueilli la streameuse star américaine Amouranth, temporairement sanctionnée sur Twitch pour des vidéos dont le contenu a été jugé comme ayant un caractère trop sexuel, ou l’influenceur pro-Trump Adin Ross.
Peu avare en provocations sexistes, homophobes et racistes, ce dernier avait opportunément rejoint Kick après s’être fait bannir de Twitch en 2023 (il a depuis été réintégré). Si Kick est principalement anglophone, on y trouve aussi quelques influenceurs francophones chassés d’autres services de streaming, comme le youtubeur Marvel Fitness, condamné en 2021 pour harcèlement moral.
Avec une telle sélection de producteurs de contenus, Kick fait très régulièrement l’objet de polémiques. En septembre 2023, une escort girl avait ainsi été filmée et retenue de force dans l’appartement du streameur américain Ice Poseidon (de son vrai nom Paul Denino), provoquant les commentaires amusés d’un des patrons de la plateforme, Ed Craven.
Un an plus tard, deux autres influenceurs américains, Jack Doherty et Dumbdumbjeez, étaient exclus de Kick. Le premier pour avoir accidenté sa voiture en direct, le deuxième pour avoir piégé une femme sans domicile fixe. Adin Ross, lui, a pu recevoir dans ses live des personnalités comme le suprémaciste blanc Nick Fuentes ou l’influenceur masculiniste Andrew Tate. Ses streams sont par ailleurs régulièrement mis en avant par la plateforme elle-même.
Kick est directement liée à une grande plateforme de paris et de jeux d’argent en ligne, Stake, qui a été créée par les mêmes fondateurs. Kick affiche d’ailleurs fréquemment des publicités pour Stake.
Stake est illégal en France et l’accès au site est bloqué dans l’Hexagone, comme dans plusieurs autres pays européens. Au Royaume-Uni, la plateforme avait acquis une licence pour proposer légalement ses services, elle a finalement annoncé en février qu’elle ne serait plus accessible dans ce pays, après un scandale : Stake avait lancé une campagne publicitaire utilisant l’image d’une star du porno pour promouvoir son service de paris en ligne, ce qui lui a valu l’ouverture d’une enquête du régulateur local.
La société est également visée par plusieurs plaintes aux Etats-Unis, où elle assure que son activité est légale mais plusieurs Etats estiment qu’elle enfreint les lois sur les jeux d’argent.