France-Cameroun, une opération vérité nécessaire

C’est sans doute le « trou de mémoire » le plus béant de l’histoire coloniale française. Entre 1955 et 1970, Paris a mené au Cameroun une guerre contre les mouvements indépendantistes, puis d’opposition, qui a causé la mort de dizaine de milliers de personnes et aidé à l’implantation d’un régime autoritaire dévoué à la France. Le silence qui enveloppait cette « sale guerre » constituait à la fois une insulte aux victimes, une faille historique et un énorme non-dit dans les relations entre les deux pays.

C’est pourquoi il convient de saluer la démarche d’Emmanuel Macron qui, dans une lettre adressée au président camerounais, Paul Biya, rendue publique le 12 août, a reconnu qu’une « guerre » avait été menée alors au Cameroun par « les autorités coloniales et l’armée française » et déclaré qu’il « assum[ait] le rôle et la responsabilité de la France ».

Il a ainsi fallu de longues années pour que la réalité de cette terrible « pacification » opérée à huis clos, largement documentée depuis longtemps par des écrivains, des journalistes et des historiens, fasse l’objet d’une reconnaissance officielle. Les techniques de « guerre contre-révolutionnaire » expérimentées en Indochine puis en Algérie – destruction de villages, assaut contre des civils désarmés, camps de regroupement forcé, torture, assassinats ciblés – ont été appliquées contre les partisans de l’Union des populations du Cameroun (UPC), parti indépendantiste, et pour mater l’insurrection des populations bamiléké. En déléguant à des autochtones la répression au niveau local, la France a transformé un conflit colonial en guerre civile.

La démarche d’Emmanuel Macron avait débuté par la création, en 2022, d’une commission composée d’historiens français et camerounais chargée de « faire la lumière » sur ce pan de l’histoire. Remis en janvier 2025, le rapport issu de ses travaux a établi que les violences exercées au Cameroun « ont transgressé les droits humains et le droit de la guerre ».

Alors que François Hollande s’était contenté, en 2015, d’évoquer une « répression particulièrement violente », Emmanuel Macron reconnaît aujourd’hui, comme le suggérait la commission, que la France a mené une véritable « guerre » au Cameroun. Le président poursuit ainsi le nécessaire travail de vérité qui, du génocide des Tutsi au Rwanda à la guerre d’Algérie, doit combler, hors de toute idée de « repentance », les zones d’amnésie, voire de mensonge, qui pèsent encore sur la société et la diplomatie françaises.

Certes, son geste apparaît incomplet – les « transgressions aux droits humains » commises ne sont pas clairement qualifiées – et non dépourvu d’ambiguïté dans la forme : une lettre adressée à Paul Biya, qui n’est autre que l’héritier de l’autocrate Ahmadou Ahidjo (installé par la France en 1960) et qui règne sur le pays depuis 1982.

Là réside la particulière sensibilité de l’opération vérité tentée par Emmanuel Macron à propos du Cameroun. La « guerre de décolonisation » des années 1955-60 ne s’est pas arrêtée avec l’indépendance, la répression exercée par Paris s’est poursuivie contre les opposants au régime mis en place. Oubliée en France, cette guerre interminable n’a pas fini d’empoisonner le climat politique et social au Cameroun. A l’approche de la fin du règne de Paul Biya, qui, en dépit de ses 92 ans, va briguer un huitième mandat présidentiel en octobre, à l’heure où le besoin de vérité historique agite toute l’Afrique francophone, il est temps d’en finir avec les non-dits franco-camerounais.

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