Mort de Jean Pormanove : « Dans le monde numérique, l’humiliation d’une personne, loin de faire baisser les yeux, captive les regards »

Le 18 août, la mort de Raphaël Graven, plus connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, créateur de contenu sur la plateforme Kick, était rendue publique au terme d’un streaming ininterrompu de douze jours. Décédé dans son sommeil, il s’était fait connaître pour avoir subi, plusieurs années durant, les brimades répétées que lui infligeaient deux comparses, mises en scène sous forme de défis.

Lors de ces « lives », le protagoniste – tout comme un certain « Coudoux », jeune homme en situation de handicap – pouvait être insulté, étranglé, moqué, giflé, menacé ou encore privé de soins, le tout sur fond de validisme. Ces violences physiques et verbales insoutenables et ces humiliations euphémisées par les streameurs sous l’appellation de « concepts » étaient suivies par des milliers d’internautes.

Cet épisode invite à interroger notre rapport contemporain à l’humiliation et les significations plurielles qu’elle revêt. Les humiliations prennent des formes de plus en plus insidieuses – mépris des responsables politiques, mise au silence de certaines populations, mobbing [phénomène de harcèlement moral collectif] au travail, traitements dégradants imposés par certaines entreprises, discriminations –, mais elles sont désormais dénoncées avec vigueur à travers des mobilisations internationales comme #MeToo ou Black Lives Matter, des campagnes de sensibilisation contre le harcèlement ou des mouvements sociaux revendiquant dignité et reconnaissance comme les « gilets jaunes ».

A l’heure où le dénigrement social apparaît à la fois plus prégnant et plus inacceptable, comment expliquer le paradoxe qui consiste, pour certains, à chercher à se faire un nom, à parfaire leur e-réputation et à obtenir une reconnaissance sociale, en exposant une image dévalorisée d’eux-mêmes, voire d’autrui ?

A l’issue du drame, le cas « Pormanove » a suscité de vifs débats, et sur les forums, on s’interroge sur les responsables : faut-il incriminer les « agresseurs », qui jouent de la surenchère et repoussent toujours plus loin les limites de la violence sur autrui ? La « victime », qui bâtit sa notoriété en s’exposant volontairement à l’humiliation ? Ou encore les internautes, qui, par leurs clics et leurs contributions, assurent la survie de la chaîne ? Plus récemment, les regards se sont tournés vers les autorités : la régulation des plateformes, voire la légalité même de telles pratiques, sont désormais mises en cause.

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