« Dans la littérature comme dans nos rêves, la mort n’existe pas. » Autour de cette citation d’Isaac Bashevis Singer (1902-1991) semble tourner toute l’œuvre formidablement diverse d’Agnès Desarthe. La phrase, qu’elle avait placée en exergue du Château des Rentiers (L’Olivier, 2023), a quelque chose d’une ligne musicale à partir de laquelle chaque livre de l’écrivaine – et fieffée mélomane – propose une nouvelle variation.
L’Oreille absolue prend pour sa part la sentence au pied de la lettre : faute de place dans le cimetière du village (un village qui pourrait bien être situé du côté du pays de Caux, où l’autrice vit), la faucheuse suspend son geste. « C’est un hiver où rien ni personne ne doit mourir » : le refrain aux allures de formule magique ouvre, escorté d’enchanteresses modulations, chaque chapitre de ce roman situé un 18 décembre, tandis que l’orchestre d’harmonie municipal s’apprête à donner son concert de fin d’année.
« Rien ni personne ne doit mourir », alors l’immense Raoul renonce à se pendre quand il est trouvé dans un garage, corde à la main, par Mathis, un garçon turbulent, orphelin de père, et doté de la fameuse oreille absolue (qui l’accable de sons plus qu’elle ne le transporte). « Rien ni personne ne doit mourir », alors une somme de petits miracles se produit en divers points du bourg, empêchant les uns et les autres de succomber à des accidents de toutes sortes – électrocution, étouffement, hypothermie… Quant au chat Valentin, dont la patte s’est coincée dans un piège à renard, il s’ampute patiemment pour se libérer, puisque sa survie est à ce prix.