Sept romans, deux essais d’histoire… Voici les brèves critiques de neuf ouvrages notables de la rentrée littéraire en cette trente-septième semaine de l’année.
Les couvents ont mauvaise réputation au XIXe siècle. Toute une partie de l’opinion, travaillée par l’anticléricalisme, les imagine comme les lieux d’enfermement obscurantiste ou scabreux que Diderot avait mis en scène dans La Religieuse (1796). Si ces images sont bien connues, on sait moins qu’elles suscitèrent des conflits très concrets au sein des sociétés européennes. En adoptant un révélateur regard comparatif sur la France et sur l’Espagne, l’historienne Inès Anrich exhume des dizaines d’affaires dans lesquelles des familles tentèrent de reprendre leurs filles à l’Eglise.
On écrit à l’évêque, au préfet, au juge, pour dénoncer une vocation forcée, ou supposée telle. Ces litiges, qui deviennent parfois des scandales publics d’ampleur, sont d’autant plus intéressants à étudier qu’ils mettent en jeu les dynamiques contradictoires de la période : des Etats en voie de laïcisation s’opposent à la force sociale maintenue du catholicisme, tandis que le sacro-saint principe de l’autorité paternelle se heurte à celui, émergeant de façon timide, du consentement individuel des jeunes filles. Que sait-on de ces dernières ? Traquant leur voix dans ses sources, l’historienne démontre qu’elles ne furent pas toujours les victimes passives du clergé, et quelles marges de choix purent exister pour elles entre le prêtre et le père. A. Lo.
Dans ce livre teinté d’alsacien strasbourgeois, l’écrivaine et psychologue clinicienne Justine Arnal libère les sortilèges tapis dans les mots d’une famille. Entre première et troisième personnes, la fille aînée dresse l’inventaire de leur maison au-dessus d’une colline. Chante la cantilène d’une « enfance recluse, exsangue et alitée » ; les larmes des grands-mères et des tantes, qui se repaissent de la vie des morts et habitent à l’intérieur d’elle, salant la soupe, embuant les journées. Elle ne sait plus, alors, qui parle en elle : ces femmes sorcières qui la dévorent ? Ses sœurs, partageant avec elle le silence qui a suivi le suicide de leur mère ? Leur père, qui compte pour ne pas se souvenir ? Car les chiffres ne racontent pas les mêmes histoires que les mots…