En cette rentrée tendue sur le plan politique et budgétaire, la taxe Zucman électrise le débat. Pour ses partisans, cette « mesure d’équité fiscale » est la solution pour sortir de la crise de la dette en mettant à contribution les plus aisés. Pour ses détracteurs, cette taxe sur les hauts patrimoines va contribuer à éloigner les capitaux et représenterait « un frein terrible à l’investissement et à la prise de risque pour les entreprises ».
Que sait-on réellement de cette mesure et de ses effets possibles ? En quoi se distingue-t-elle de l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ? Permettrait-elle de renflouer les caisses de l’Etat, ou ferait-elle au contraire fuir les plus riches, privant la France d’importantes recettes fiscales ? Serait-elle inconstitutionnelle, comme le défendent certains ? Les Décodeurs font le point sur les principaux volets de ce débat brûlant.
Le principe de cette taxe est un impôt plancher permettant de s’assurer que les foyers fiscaux disposant de plus de 100 millions d’euros de patrimoine contribuent chaque année au moins à hauteur de 2 % du montant de leur fortune. Pour un ménage qui s’acquitterait actuellement d’impôts annuels équivalant à 0,5 % de son patrimoine, la taxe Zucman s’élèverait donc à 1,5 % de son patrimoine.
L’ambition de ce projet est de rétablir davantage de justice fiscale tout en générant une nouvelle source de recettes dans un contexte budgétaire extrêmement contraint. L’économiste français Gabriel Zucman, à l’origine de la proposition, part d’un double constat :
Des chercheurs de l’IPP ont montré dans une étude récente que le taux effectif d’imposition sur l’ensemble des revenus commence à décroître à partir des 0,1 % les plus riches. Et si ces derniers sont imposés à 46 % de leurs revenus, les 0,0002 % les plus fortunés (les milliardaires) ne reversent que 26,2 % de leurs revenus. Une anomalie qui s’explique par le fait que les plus fortunés tendent à diriger leurs revenus dans des holdings, qui ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu.
Si les données sur lesquelles se fonde cette étude datent de 2016, les chercheurs confirment que ce phénomène de régressivité de l’imposition des grandes fortunes perdure aujourd’hui. Dans la dernière révision de leurs calculs (septembre 2025), le taux d’imposition effectif des revenus des milliardaires a baissé de près d’un point.
Selon Gabriel Zucman, un taux fixé à 2 % permettrait d’enrayer cette baisse d’imposition pour les plus riches : « Les milliardaires paieraient autant – mais pas plus – que les catégories sociales situées en dessous d’eux », a estimé l’économiste, dans un entretien au Monde.
En ciblant le patrimoine, la taxe Zucman se rapproche de l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Mais il présente d’importantes différences.
L’ISF était calculé à partir du patrimoine immobilier, des liquidités (comptes courants, livrets d’épargne…) et des placements financiers (comme l’assurance-vie). Il a été remplacé en 2018 par l’IFI, qui se limite à l’immobilier. La taxe Zucman, elle, s’appliquerait à l’ensemble du patrimoine, y compris les « biens professionnels » (comme les actions d’entreprise).
Le taux proposé de la taxe Zucman est de 2 %, tandis que les taux de l’IFI s’échelonnent de 0,5 % à 1,5 % du patrimoine, comme l’ISF par le passé. Par ailleurs, à la différence de l’IFI et de l’ISF, la taxe Zucman ne prévoit pas de plafonnement.
La taxe Zucman vise les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, tandis que l’IFI se déclenche à partir de 1,3 million d’euros, comme l’ISF avant lui.
Le choix d’un tel seuil restreint la taxe Zucman à quelque 1 800 foyers, d’après l’économiste. C’est largement moins que l’IFI (qui a concerné près de 186 000 ménages en 2024) et l’ISF (environ 358 000 ménages en 2017).
L’IFI a rapporté 2,2 milliards d’euros en 2024. S’il est difficile de dire ce que l’ISF rapporterait aujourd’hui s’il avait été maintenu, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital a estimé que son remplacement par l’IFI a généré un manque à gagner de 4,5 milliards d’euros pour l’Etat en 2022.
Quant à la taxe Zucman, l’estimation de son rendement potentiel ne fait pas consensus.
Pour les plus optimistes, elle pourrait rapporter 20, voire 25 milliards d’euros par an aux caisses de l’Etat. Le chiffre est cependant contesté. Dans une tribune au Monde, sept économistes anticipent plutôt des retombées de l’ordre de 5 milliards d’euros. Une estimation basse, qu’ils justifient par les risques d’exil fiscal ou d’optimisation, s’appuyant notamment sur les conclusions d’un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) qui, sur la base de plusieurs comparaisons internationales, table sur un rendement de 0,25 euro par euro espéré.
Gabriel Zucman a critiqué cette comparaison : selon lui, le cas de l’ISF danois mis en avant par l’étude du CAE n’est en rien comparable avec un impôt plancher sur les ultrariches. Une analyse partagée par l’économiste Camille Landais, coauteur de l’étude, qui a réfuté, dans Alternatives économiques, la pertinence de toute extrapolation entre ses résultats et ceux escomptés de la nouvelle taxe proposée.
Comme l’a souligné la commission des finances du Sénat, toute estimation des effets de la mesure s’avère complexe car « aucune autre imposition de ce genre n’existant aujourd’hui, il est possible que les personnes les plus aisées s’exilent pour éviter l’impôt ». Plusieurs études récentes laissent toutefois penser que cet exil fiscal et ses conséquences économiques resteraient limités : selon le CAE, un point de pourcentage supplémentaire d’imposition entraînerait « une expatriation supplémentaire à long terme comprise entre 0,02 et 0,23 % des hauts patrimoines français », soit entre 90 et 900 foyers.
Cependant, comme l’a noté le Sénat, le rendement de la taxe Zucman pourrait être « beaucoup plus sensible au moindre exil fiscal » que l’ancien ISF, car son assiette est plus large et ses cibles sont moins nombreuses. Un danger que les défenseurs du texte souhaiteraient encore réduire avec un « bouclier anti-exil », qui viendrait soumettre les potentiels exilés fiscaux à cet impôt jusqu’à cinq ans après leur départ.
Les débats parlementaires sur la proposition de loi écologiste instaurant la taxe Zucman, adoptée par l’Assemblée nationale le 20 février puis rejetée par le Sénat le 12 juin, ont permis de situer les différentes forces politiques sur ce dossier.
C’est ce que soutiennent plusieurs de ses contempteurs, à commencer par l’ex-premier ministre François Bayrou. Pour eux, cette taxe entre dans la catégorie des mesures dites « confiscatoires », qui sont rejetées par la jurisprudence.
Gabriel Zucman et les défenseurs de l’établissement de la taxe répondent qu’une imposition limitée à 2 % et déclenchée à partir d’un seuil très élevé (100 millions d’euros) ne peut aucunement être jugée « confiscatoire ». A leurs yeux, leur proposition respecte bien mieux l’exigence d’égalité devant l’impôt, telle que formulée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que l’état actuel du droit.
Mais personne n’en aura le cœur net tant que le Conseil constitutionnel ne se sera pas prononcé – ce qu’il pourrait être amené à faire, si la mesure figurait dans le prochain budget.