Dans la salle de sciences, aucun signe de vie. Le mannequin anatomique exhibe ses entrailles poussiéreuses. Une brume froide s’infiltre entre les planches puis se pose sur des cahiers abandonnés. Mais lorsque Hinako regagne le couloir de l’école, plongé dans l’obscurité, la lycéenne se fige avec horreur. Plusieurs silhouettes immobiles viennent d’apparaître, sans un bruit. Ce sont les corps désarticulés de ses anciens camarades…
Hinako Shimizu, c’est vous : l’héroïne de cette nouvelle mouture de Silent Hill, disponible jeudi 25 septembre (sur PC, PlayStation 5, Xbox Series X et S). Dès 1999, cette série de jeux d’aventure et d’action popularisa le concept d’horreur psychologique, où la peur tient moins à l’irruption du danger qu’à une atmosphère de malaise généralisé. Car si la plupart des jeux d’horreur s’apparentent à une descente aux enfers, le propre de Silent Hill est de commencer au cœur du cauchemar pour mieux plonger à pic dans l’inconscient de ses protagonistes, sans garantie de retour.
Jusqu’ici, le cadre de cette série marquée par les univers de Stephen King et de John Carpenter était indissociable des petites villes quadrillées de l’Amérique ordinaire. Pour ce huitième épisode majeur, les studios Konami opèrent une révolution en déplaçant leur train fantôme sur les hauteurs d’Ebisugaoka, bourgade rurale et fictive de l’Archipel, dans les années 1960. Avec cette transposition, Silent Hill f sonne aussi comme un retour aux racines japonaises du genre : au début des années 2000, sur PlayStation 2, des titres tels que Project Zero, Forbidden Siren, ou encore Kuon s’étaient déjà distingués en mettant en scène un Japon empreint de folklore surnaturel.
Alors, ici, le charme désuet de l’époque Showa, avec ses épiceries vétustes, ses grésillements radiophoniques et ses maisons en tôle ondulée s’accompagne de souvenirs d’un autre âge. Comme ces modèles, Silent Hill f est un jeu essentiellement linéaire, resserré autour d’une poignée de lieux et d’ennemis récurrents, et rempli de casse-tête cryptiques. C’est en partie là que réside son attrait.
Malgré le changement de cadre, les premières heures ne dépayseront pas les habitués. Comme par le passé, la longue descente vers la ville s’achève par une confrontation avec des humanoïdes couleur chair, les ruelles d’Ebisugaoka se replient sur elles-mêmes tel un labyrinthe vivant, tandis que les notes manuscrites éparpillées dans le décor recomposent le récit d’une malédiction collective.
Le commentaire social paraît tout aussi conventionnel : Hinako a grandi dans un foyer écrasé par le conformisme, entre un père violent et une mère soumise. Sa fugue, comprend-on vite, réveille son désir de vengeance en provoquant l’engloutissement de la ville sous une poussée de fleurs rouge sang, lesquelles symbolisent autant la révolte de l’adolescence que la violence sous-jacente d’une société hypocrite.
L’éclat de ces fleurs renvoie surtout à la couleur du shintoïsme : le vermeil, qui orne les sanctuaires japonais peuplés de divinités animistes. Une thématique spirituelle qui infuse Silent Hill f grâce à un récit parallèle situé dans une dimension sacrée, dans laquelle Hinako est projetée à répétition afin d’accomplir des rituels de plus en plus extrêmes. Le jeu se mue alors en un conte initiatique douloureux, tiraillé entre purification et destruction. C’est là que l’horreur affleure sous sa forme la plus vive et inattendue, afin de donner lieu à de puissantes visions – parmi les plus dérangeantes de la série.
On pardonnera donc à Silent Hill f un léger manque d’ampleur, tant le raffinement de sa mise en scène et la radicalité de certaines séquences compensent cet écueil. Et si au terme d’une bonne dizaine d’heures, le périple s’achève sur une note décevante, ce n’est que pour mieux nous faire recommencer : dans la tradition de la série, de nouvelles « fins » prolongent l’espoir d’une échappatoire à l’horreur. Un dilemme survient alors. Aurons-nous le courage de replonger dans le cauchemar ? Ou choisirons-nous plutôt de réveiller, les yeux encore injectés d’images indélébiles ?
On a aimé :
On n’a pas aimé :
C’est plutôt pour vous si…
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
La note de Pixels :
7 médaillons ensanglantés dans 10 orifices en forme de renard.