L’hommage à l’opposant historique kényan, Raila Odinga, mort la veille en Inde, s’est brutalement transformé jeudi 16 octobre à Nairobi en mouvement de panique, des dizaines de milliers de personnes évacuant un stade en quelques minutes après des tirs des forces de sécurité.
Sur la pelouse, un homme gît visiblement grièvement blessé à la tête, selon une photo prise par un photographe de l’Agence France-Presse (AFP). Des journalistes de l’AFP ont vu deux autres blessés.
Le bilan aurait pu être bien pire encore, alors que les forces de sécurité, dépassées, ont tiré pour disperser une foule nombreuse qui tentait de pénétrer dans la section VIP du stade de Kasarani, le plus grand de la capitale kényane, où la dépouille de Raila Odinga devait être montrée.
L’AFP TV a filmé une foule prise totalement au dépourvu, couchée au sol, puis courant ensuite dans tous les sens, alors que des dizaines de tirs se faisaient entendre. Les images de l’AFP montrent aussi les forces de sécurité frapper à coups de bâton de jeunes hommes dans les tribunes.
Des dizaines de milliers de Kényans s’étaient rassemblés jeudi après-midi dans l’enceinte sportive pour rendre hommage à cette figure politique du pays, cinq fois candidat malheureux à la présidentielle, notamment en 2022, et mort en Inde à l’âge de 80 ans d’une probable crise cardiaque.
La mort de ce combattant pour la démocratie, qui a passé huit ans en détention sous le régime autocratique de Daniel arap Moi, est un séisme pour les Kényans, tout particulièrement pour les Luo, qui voyaient en lui une sorte de figure paternelle vénérée. Elle laisse aussi un grand vide dans l’opposition kényane.
Toute la journée, des foules importantes ont donc accompagné l’arrivée au pays de la dépouille de « Baba » (« papa », en swahili), le surnom qui lui était affectueusement donné, débordant un dispositif sécuritaire visiblement mal calibré.
Après l’arrivée du corps vers 9 h 30 (8 h 30 à Paris), l’autorité de l’aviation civile kényane (KCAA) avait dû suspendre temporairement les opérations de l’aéroport Jomo-Kenyatta pour « rétablir l’ordre et assurer la sécurité ». Des personnes en deuil avaient accédé à des zones réglementées, avait justifié la KCAA.
Le cercueil de Raila Odinga, recouvert d’un drapeau kényan, devait ensuite être amené au Parlement. Mais les milliers de personnes entourant le cortège avaient forcé les autorités à le rediriger vers le stade de Kasarani, ce qui avait créé d’importantes perturbations de circulation.
Les télévisions kényanes avaient montré en début d’après-midi une foule considérable paralysant complètement la circulation sur les grands axes menant à l’enceinte sportive. Celle-ci a été d’abord envahie par un grand nombre de personnes endeuillées agitant des branchages, selon une tradition funéraire luo, avant d’être désertée peu avant 15 h 30.
Les télévisions kényanes ont aussi montré de très nombreux jeunes hommes se ruer sur le terrain de football, entre des militaires impassibles, avant de courir sur le gazon ou d’y faire des saltos.
Mais les foules ayant rapidement rempli les pelouses et les gradins du stade ont dépassé les forces de sécurité jusqu’à ce que des coups de feu et des jets de gaz lacrymogène le vident en quelques minutes à peine. La police a une image déplorable au Kenya, où elle est fréquemment accusée de violences disproportionnées contre la population.
Le président William Ruto a décrété sept jours de deuil national pour Raila Odinga. Des espaces de deuil publics ont été installés dans Nairobi avant une cérémonie funèbre nationale vendredi, jour déclaré férié. La dépouille doit ensuite être transférée dans l’ouest du pays, où M. Odinga est né et où il bénéficiait d’un soutien populaire immense.
La chaîne Citizen TV a montré qu’un grand nombre de personnes s’étaient également rassemblées à Bondo, le siège ancestral de la famille de M. Odinga dans l’ouest du Kenya, où il doit être enterré dimanche.