Le nœud, une boucle intemporelle

Le nœud évoque souvent les petites filles sages en robes soigneusement repassées, les icônes sixties aux cheveux rassemblés dans un délicat ruban et autres babydolls. Surtout, c’est un symbole évident de féminité et de coquetterie – ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il agrémente souvent les sous-vêtements. Il n’y a qu’à voir le cliché partagé fin septembre par la chanteuse Rihanna sur ses réseaux sociaux pour annoncer la naissance de son troisième enfant, une fille : la pop star pose, bébé dans les bras, ces derniers enserrés de deux larges nœuds roses.

Mais le nœud n’est pas qu’une frivolité décorative. Chez le psychanalyste Jacques Lacan, il est « borroméen », terme désignant comment le symbolique, l’imaginaire et le réel s’entremêlent ; pour les politiques, il est « gordien », synonyme de blocage ou de décision radicale, tandis que, au théâtre, il est dramatique et vient bousculer l’équilibre du récit. Pour les mathématiciens, il est par ailleurs une théorie, voire un champ d’études à part entière.

La mode, elle, s’en est emparée de façon singulière, refusant de le réduire au simple ruban noué autour d’une taille. Depuis les années 1970, la Japonaise Rei Kawakubo, fondatrice de Comme des garçons, transforme le vêtement en sculpture. Ses silhouettes s’ornent de volumes inédits – boursouflures, excroissances… – au milieu desquels le nœud joue parfois un rôle central, devenant outil de déséquilibre et non plus de symétrie. Son compatriote Yohji Yamamoto joue lui aussi de ces attaches visibles, qui suggèrent qu’un vêtement n’est finalement jamais qu’un assemblage précaire, tenu par quelques liens à défaire.

De leur côté, les Néerlandais Viktor & Rolf ont poussé le nœud jusqu’à l’excès, transformant le ruban en sculpture monumentale, cocon protecteur ou entrave spectaculaire. Plus récemment, c’est le Britannique Jonathan Anderson qui en a parsemé sa première collection féminine pour Dior. Sur le devant d’une veste Bar revisitée, dans le dos d’une robe évanescente, autour du cou ou sur de délicats escarpins… Un geste ornemental qui semble ne pas avoir de limites.

Peu importe sa forme, porter un nœud n’est jamais neutre. Dans l’histoire de la mode, il a longtemps incarné l’idée d’une décoration signalant l’apparat, la délicatesse ou encore le rang social, selon une grammaire codifiée qu’il fallait suivre à la lettre. Minuscule ou monumental, placé au cou, à la taille ou sur l’épaule, il attire l’attention quoi qu’il arrive. Il a surtout le pouvoir de transformer une allure et d’équilibrer – ou non – une silhouette. C’est sans doute cette versatilité qui explique la longévité du nœud, qui passe de détail discret à construction spectaculaire en un tour de main et peut lier, enserrer ou désorganiser selon les envies de chacun.

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