« Printemps 2006. Quelque part en Ile-de-France. Je suis assis à l’arrière de la Citroën Evasion bleue familiale. Mes parents se garent devant un portail noir. Derrière les grilles, au fond d’un jardin, se cache une maison très sombre, mystérieuse, aux airs de manoir hanté. Effrayé par ce lieu inconnu, je préfère rester dans la voiture. “Peut-être que nous allons habiter ici”, me disent mes parents en sortant de leur visite. Ce ne sera pas le cas. Mais je comprends ce jour-là qu’un déménagement se trame dans mon dos. Et que nous sommes sur le point de quitter l’appartement des dix premières années de ma vie.
Un petit immeuble blanc de six étages, devant la gare de Colombes [Hauts-de-Seine]. C’est ici, au premier étage, porte de gauche, que se trouve l’appartement de mon enfance. Des disques d’Idir et de Manu Chao tournent dans le salon. Une odeur de tajine se faufile sous la porte de ma chambre. Mon père fait sa prière dans la salle à manger, cinq fois par jour. Le bruit des trains – à l’arrêt ou en pleine traversée de la gare – résonne dans l’appartement.
Cette période de ma vie, que je ne peux dissocier de ce lieu, s’achève à la naissance de mon petit frère. J’ai 10 ans. Mon frère aîné en a 13. La famille s’agrandit. Et notre logement doit, lui aussi, s’agrandir. Mes parents achètent un pavillon à Viry-Châtillon [Essonne]. Tout à coup, il faut quitter le nid de Colombes. Remballer les souvenirs. Dire au revoir à mes camarades de classe. A l’école primaire, j’annonce mon déménagement comme si j’annonçais ma propre mort. J’adresse des lettres d’adieu à mes deux ou trois potes de CM1. Pour se rassurer, on se promet de se revoir. Dans un geste théâtral, je remets une déclaration d’amour, très maladroite, à mon amoureuse de l’époque.