On a les amis qu’on mérite. Ceux de l’anthropologue Alban Bensa (1948-2021) partagent son sens affirmé de l’engagement. Trois ethnologues, Thierry Bonnot, Antonella Di Trani et Claude Grin, ont ainsi honoré la promesse qu’ils lui avaient faite en menant à son terme L’Enquêteur enquêté. Un recueil dense, critique, exigeant, de 26 textes, dont certains avaient été déjà choisis par le spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. Le choix des autres a résulté de discussions que l’on imagine longues et argumentées, telles qu’il les aimait. Conçu comme une suite à La Fin de l’exotisme (Anarcharsis, 2006), cet ouvrage prolonge sa « volonté d’affirmer les fondements d’une façon authentique de faire de l’anthropologie », expliquent en préface ses trois héritiers intellectuels.
Il est, en effet, traversé par la méthode de Bensa et une certaine idée qu’il se faisait du terrain ethnographique. A commencer par l’apprentissage, dès 1973, du paicî – une des 28 langues de l’archipel, « une épreuve » incontournable pour pénétrer « l’entre-soi kanak ». L’auteur reprend à son compte les conseils de son professeur, le linguiste André-Georges Haudricourt (1911-1996) : « Avant de faire des hypothèses sur la façon dont les gens pensent, encore fallait-il comprendre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. » Il les suit toujours en s’appuyant sur « les traces matérielles tangibles de l’activité humaine », celles que l’on voit, entend ou touche. Inscrit dans le réel, le concret, l’anthropologue accorde aussi une grande importance aux événements, à l’histoire (la petite), en menant son enquête sur du temps long (très long) : quarante ans au même endroit. Autant dire de « l’antitourisme », s’amuse-t-il.