Le Quincy mouillant dans les eaux du Potomac aurait incontestablement donné à la visite du prince héritier saoudien à Washington, mardi 18 novembre, un appréciable vernis historique. C’est sur le pont de ce croiseur que le président Franklin Roosevelt, s’en revenant de la conférence de Yalta, en Crimée, avait reçu, en février 1945, entre canal de Suez et mer Rouge, le roi Abdel Aziz Al Saoud. Les historiens restent prudents à propos des termes de l’entente conclue à cette occasion, les Etats-Unis promettant la sécurité au jeune royaume fondé en 1932 en échange d’un accès à ses hydrocarbures. L’entrevue n’en est pas moins devenue le symbole de la naissance des relations entre les deux pays.
Décommissionné en 1973, le croiseur a fini ses jours depuis bien longtemps dans un port de l’Oregon, où un ferrailleur s’est montré plus sensible à ses milliers de tonnes d’acier qu’à cet épisode de l’histoire. Si un nouveau « pacte du Quincy » se concluait quatre-vingts ans après celui qui relève plus sûrement de la légende, il serait de toute façon bien différent.
Le frêle royaume d’hier n’a plus grand-chose à voir avec la puissance régionale d’aujourd’hui. Les Etats-Unis, qui s’apprêtaient alors à construire un ordre mondial basé sur des règles, sont aujourd’hui occupés à piétiner ce qu’il en reste. Tout en défendant leur rang de première force militaire au monde, que la Chine entend contester, forte déjà de bien plus de bâtiments de guerre qu’eux.
Le prince héritier – et petit-fils du fondateur du royaume –, Mohammed Ben Salman Al Saoud, plus connu sous le diminutif « MBS », a déjà derrière lui dix années d’un pouvoir sans guère de partage depuis qu’il a écarté avec une rare brutalité les membres de la famille royale susceptibles de lui faire ombrage. Il a toujours pu se prévaloir du blanc-seing d’un père bientôt nonagénaire, Salman ben Abdelaziz Al Saoud.
Après des débuts laborieux marqués par une guerre aussi sanglante que vaine contre la rébellion houthiste au Yémen et par l’effroyable assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi, suivi de son démembrement, dans le consulat saoudien à Istanbul, en 2018, le prince héritier est devenu, à seulement 40 ans, le principal responsable arabo-musulman. Il le doit à la légitimité que lui octroient les lieux saints de La Mecque et de Médine, dont il a la responsabilité, à la taille et à la richesse de son royaume. D’autant qu’il aura en théorie devant lui des décennies de règne après la disparition de son père.