A première vue, il a la meilleure place à table. La plus centrale, sous la lumière et au plus près du plat principal. En réalité, le dessous-de-plat occupe sans doute la plus misérable et la plus ingrate, avec celle du rince-doigts, peut-être. Tout se joue au-dessus de lui. Au premier « chaud devant ! », il doit accourir, mais, sitôt son poste pris, il ne voit plus rien du festin. Charge à lui d’accueillir les sujets brûlants et autres sorties de four gratinées, sans trembler ni se dérober.
Car le dessous-de-plat n’a pas le droit à l’erreur, on ne lui pardonnerait pas. S’il vacille, tout s’effondre, y compris la conversation. Pour le reste, même Jean-Michel Garric, conservateur du Musée des arts de la table de l’abbaye de Belleperche (Tarn-et-Garonne) a peu à dire sur lui. Il a beau chercher dans les rayonnages de la bibliothèque de l’abbaye, aucun ouvrage ne lui est consacré, pas la moindre ligne.
« Il y en a pourtant sur l’histoire des carafes ou des étiquettes au col des bouteilles », mais pas une étude sur « cet avatar du garde-nappe », poursuit le conservateur, cet ensemble d’éléments semblables aux dessous-de-verre ou aux plateaux chargés de protéger la table et son bois dès le XV? siècle. Il suppose que l’objet a pu séduire quelques collectionneurs, mais trop isolés pour se fédérer en association.
Lui fait remonter son usage à la seconde moitié du XIX? siècle, « pas dans les grandes familles, qui ne servent pas la marmite à table », mais sur les tables plus populaires et bourgeoises. « Un gadget, dit-il, apparu dans le sillage de la fabrication des biens de consommation pour la maison. » Certains auraient même renfermé des boîtes à musique.
Aujourd’hui, le dessous-de-plat doit rester modeste, mais joli pour ne pas gâcher la photo du rôti et rehausser la corbeille de fruit. C’était le défi de Zone Denmark, jusque-là spécialiste des accessoires de salle de bains. Contre toute attente, la marque danoise a choisi le dessous-de-plat pour faire son entrée dans la cuisine et l’art de la table, et le studio VE2 pour le dessiner.
Son modèle hexagonal en silicone résistant à 230 °C, souple, ludique, géométrique et décliné en une dizaine de couleurs à moins de 10 euros, a gagné en visibilité et est devenu un best-seller. A tel point que certains le laissent trôner sur la table débarrassée.