C’est un combat à 1 milliard de dollars entre un président américain à tendance autocratique prononcée et l’une des plus solides vestales de la démocratie britannique. D’un côté, un Donald Trump obsédé par le souvenir du putsch politico-juridique qu’il a tenté le 6 janvier 2021 ; de l’autre, la BBC, responsable d’avoir truqué un documentaire sur ce même événement. C’est un peu comme si l’homme de la Trump Tower s’attaquait à la Tour de Londres – une bataille civilisationnelle, de part et d’autre de l’Atlantique.
Depuis le début du XXe siècle, la « Beeb », l’audiovisuel public en Grande-Bretagne, est une institution nationale, un morceau de l’âme du pays et, plus encore, de sa mémoire – musée sonore et visuel des heures sombres et glorieuses de la saga moderne d’outre-Manche. Le conflit en cours oppose l’univers trumpiste, et ses divinités que sont l’argent et la puissance, à celui de la BBC, mélange de sérieux, d’humour et de culture anglo-saxonne. En somme, un bloc de brutalité dollarisée contre un souffle de civilisation télévisée. L’affaire est sérieuse.
Elle commence avec une énorme faute professionnelle commise par « Auntie Beeb », la vieille tante comme on appelle la BBC. Fin octobre 2024, à quelques jours du scrutin de novembre qui voit le retour de Trump au pouvoir, « Panorama », l’émission vedette de BBC News, diffuse un documentaire d’une compagnie indépendante intitulé Trump: A Second Chance? (« Trump : une deuxième chance ? »). Le film revient sur les événements du 6 janvier 2021 quand les partisans de Trump, tout juste battu par Joe Biden, donnent l’assaut au Capitole.
Ils veulent empêcher la certification par le Congrès de la victoire du démocrate. Le républicain a convoqué cette manifestation, il entend renverser le résultat du scrutin. Dans le documentaire, l’extrait du discours que prononce alors le chef MAGA (Make America Great Again) est un collage : il associe en une phrase deux moments de la harangue, laissant ainsi entendre qu’elle fut un appel explicite à la violence. Même si le commentaire est honnête, la phrase telle qu’elle a été diffusée est un faux, Trump ne l’a pas dite.