Lola est traumatisée. Aussitôt arrivée dans le café de Brooklyn où a lieu la rencontre, elle se réfugie sous un canapé en velours orange. Sa maîtresse, cheveux bruns frisés, voix grave et mine sérieuse difficile à dérider, s’excuse du comportement de sa petite chienne noir et blanc aux airs de gremlin : « Elle se comporte mieux d’habitude, mais elle s’est fait attaquer il y a un mois par un autre chien, et depuis, elle n’est plus elle-même. Elle est devenue peureuse et agressive. » Depuis 2018, Arielle Angel, 41 ans, est la rédactrice en chef de Jewish Currents, ce « petit magazine qui veut critiquer Israël sans abandonner son identité juive », comme le définissait en septembre 2024 le New Yorker.
L’ironie du parallèle entre ce qui vient d’arriver à son chien et la situation au Moyen-Orient, semble lui échapper. La pression qui pèse sur ses épaules, décuplée depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas et la guerre de Gaza déclenchée par Israël, y est sans doute pour quelque chose. Le positionnement de son magazine, qui entend porter la voix, la vision du monde et l’héritage des juifs de gauche antisionistes, également.
Croyants, parfois pratiquants, mais anticapitalistes, antiracistes, et surtout fortement unis par la défense des droits des Palestiniens et la critique radicale d’Israël, les lecteurs de Jewish Currents sont minoritaires dans la galaxie largement conservatrice du judaïsme américain, mais leur influence est en pleine croissance. Adam Shatz, écrivain, rédacteur en chef pour les Etats-Unis de la prestigieuse London Review of Books et habitué des colonnes de la New York Review of Books, auteur d’une biographie du penseur de l’anticolonialisme Frantz Fanon (Frantz Fanon. Une vie en révolutions, La Découverte, 2024), n’a eu de cesse, depuis le 7-Octobre, de dénoncer les crimes israéliens à Gaza.