La bibliographie d’Alan Hollinghurst ressemble, en un sens, à un livre d’Alan Hollinghurst. Lui qui s’est fait une spécialité des romans jalonnés de sauts temporels, dont les chapitres sont séparés par des mois ou des années – au lecteur de deviner ce qui s’est passé dans l’intervalle –, laisse passer quatre, cinq, six ans parfois, entre deux ouvrages. Et la fiction suivante porte, souterrainement ou de manière plus évidente, la trace de ce qui est arrivé à l’écrivain durant cette ellipse.
L’idée d’un parallèle possible entre la construction de ses textes et son rythme de publication fait d’abord rire le britishissime auteur, de passage à Paris début septembre. Après un temps de réflexion, de sa voix basse à l’exquis accent oxonien, il reconnaît qu’il fonctionne « probablement » selon un cycle qui le voit « [se] réengager avec la vie, après la parution d’un livre, absorber ce qui advient alors, et [se] tourner ensuite de nouveau vers l’écriture ». Le fait d’être entré dans la cinquantaine juste après son quatrième roman, La Ligne de beauté (Fayard, 2005), a ainsi, selon l’auteur né en 1954 dans le Gloucestershire, joué un rôle important dans l’élaboration « inconsciente » de L’Enfant de l’étranger (éd. Albin Michel, 2013) : « Je me suis alors mis à m’intéresser de près aux effets de l’âge et à la question du temps, à ce qu’on laisse derrière soi. » De ces réflexions, entre autres, est née cette fresque traversant le XXe siècle, qui est un extraordinaire roman de la mémoire. Ce que s’avèrent aussi L’Affaire Sparsholt (éd. Albin Michel, 2018) et Nos soirées (éd. Albin Michel, 624 pages, 24,90 euros, numérique 18 euros) .