« C’est à quel sujet ? La désertion. La désertion de qui et de quoi ? La désertion comme acte politique, poétique, philosophique, et pratique. » Première page du livre, et le décor est placé. Dans Désertons (Les Liens qui libèrent, à paraître le 24 septembre), Jeanne Mermet, ingénieure passée par l’Ecole polytechnique, raconte sa rupture, à la fin des années 2010, avec une carrière prestigieuse. Dans un texte ample, intime, politisé, traversé par ses doutes et ses contradictions, elle invite à déserter « collectivement ».
Il me semblait important de me situer le plus honnêtement possible. Je ne pouvais pas raconter ma désertion sans passer par cette étape, parce qu’il est primordial de se situer socialement pour se rendre compte des choix qui nous sont accessibles. J’ai grandi dans le Sud-Ouest, à Tarbes, mais je viens aussi du Jura, où vivait ma grand-mère. Mes attaches familiales se trouvent dans ces montagnes.
Ces territoires m’ont marquée : des petites villes en déclin, des centres qui se vident au profit des périphéries, des devantures fermées. Mon père était ingénieur chez Alstom, ma mère est psychologue. J’ai grandi dans un milieu aisé, ayant accès à diverses activités extrascolaires, et où il était évident pour mes parents que si je voulais faire des études supérieures, ils me soutiendraient financièrement. J’ai conscience des privilèges dont j’ai hérité. Si j’ai moi-même choisi de vivre dans une certaine forme de précarité, c’est aussi car je n’ai jamais eu à craindre pour ma sécurité financière, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
La claque sur la crise écologique a eu lieu pendant mes années d’études au Danemark, où j’ai travaillé sur la modélisation de réseaux électriques pour la transition énergétique. J’ai pris conscience des contradictions de nos modèles : même dans les scénarios les plus ambitieux, la consommation d’énergie continuait d’augmenter jusqu’en 2050, tout en reposant toujours sur du charbon et du pétrole, et en impliquant une explosion des besoins en matières premières minérales et métalliques, dont l’extraction n’a jamais été et ne sera jamais écologiquement et socialement juste.