A la tombée de la nuit, dans le delta du Danube partagé entre l’Ukraine et la Roumanie, chacals dorés, chiens errants et chouettes effraies hurlent à l’unisson. Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, d’autres sons sont venus s’y ajouter : d’abord, les sirènes d’alerte côté ukrainien, puis, à partir de l’été 2023, les tirs de la défense antiaérienne, le moteur des drones, comme celui d’une « barque de pêcheur », et enfin, les explosions, qui font « trembler la terre », évoque Cerasela Cilibon, dans son jardin fleuri à Periprava, en Roumanie, pays de l’OTAN. « La guerre, pour moi, elle est sonore. C’est toujours la nuit et on ne voit rien. Maintenant, je sais faire la différence entre un drone Shahed, un Geran et un missile », raconte la scénariste de 50 ans, revêtue d’un ensemble de pilou rouge. Partie de la capitale, Bucarest, en 2020 pour rénover une maison dans ce hameau de 80 habitants, elle espérait y être « au calme ».

Periprava, sur le bras fluvial de Chilia, fait face au port ukrainien de Vylkove. Il est le dernier village roumain avant la mer Noire, si isolé qu’il faut prendre un bateau pendant plusieurs heures depuis la ville de Tulcea pour le rejoindre. Les habitants historiques sont des lipovènes, des « vieux croyants » (membres de l’Eglise orthodoxe dite « vieille ritualiste ») russophones, qui vivent principalement de la pêche et du tourisme. Depuis juillet 2023, les ports ukrainiens du Danube, alternatives au port d’Odessa pour l’exportation de céréales et marchandises, sont régulièrement attaqués par les drones et les missiles russes. Plusieurs drones ont déjà survolé le territoire roumain, dont le dernier le 13 septembre, quatre jours après l’intrusion de 19 drones en Pologne. Les habitants d’un autre village, Pardina, témoignent auprès du Monde l’avoir vu voler très bas avant de repartir vers l’Ukraine. Il n’a pas été abattu par les avions F-16 de l’OTAN, pour éviter des « dommages collatéraux », selon le ministère de la défense roumain.